100 FLEURS pour les résistants strasbourgeois
 Rues de la ville dont le nom évoque la Résistance                                                    

   L’odonymie strasbourgeoise (i.e. les noms des voies publiques) compte une bonne trentaine de rues, allées, squares ou pont qui renvoie à la Résistance. Cela semble a priori plus étendu que la mémoire partagée par les habitants. C’est cependant une richesse en trompe l’œil : d’une part, elle est relativement récente et surtout, elle occupe dans la ville des espaces le plus souvent résiduels, reflétant parfaitement le caractère fragile des mémoires de la Résistance à Strasbourg. 
   Au lendemain de la guerre, très peu de voies reçoivent un nom en référence à la Résistance. Entre 1945 et 1948, seules quatre sont renommées, les rues Georges Wodli (dirigeant communiste), Marcel Weinum (dirigeant de l’organisation de jeunes la « Main noire » liée à travers son premier noyau à la mouvance catholique), de la Brigade Alsace-Lorraine (regroupant des partisans issus de la résistance intérieure placée sous la direction d’André Malraux) et enfin la rue du Dr Victor Nessmann (médecin résistant mort sous la torture à Limoges en janvier 1944).
   Presque 10 ans plus tard, en 1957, une portion de la rue Sengenwald située dans le quartier de la Bourse se voit attribuer le nom d’un autre médecin résistant, Paul Reiss, et une portion de la rue Forget voisine celui de Paul Collomp, spécialiste de l’Egypte hellénistique, assassiné par la Gestapo lors de la rafle de l’Université de Strasbourg à Clermont-Ferrand en novembre 1943. 
   La période de la reconstruction, avec le développement d’un nouveau quartier au Neuhof à partir de 1950, est l’occasion d’attribuer plusieurs noms liés à la Résistance aux voies urbaines nouvellement créées : allée des Déportés, rues de la Résistance, du Ballersdorf, de Périgueux, de Brantôme, de Clairvivre … et aussi, au milieu des années soixante, rues Léonce Crabbé (journaliste), Antoine Becker (policier), Raoul Clainchard (étudiant) … 
    Pour autant, certaines ont été depuis rebaptisées, voire ont disparu. 
Le rythme se ralentit ensuite. En 1975, le nom d’Henri Frenay, figure nationale de la Résistance qui étudia au Centre d’études germaniques de Strasbourg en 1938 dans le cadre d’une formation dispensée aux officiers français pour les sensibiliser aux dangers que représentait la montée du nazisme en Allemagne, est attribuée à une rue du quartier de Koenigshoffen. Au Neuhof, l’ancien chemin vicinal Kieferweg devient « naturellement » la rue du Commandant François, nom de guerre de Georges Kiefer, chef des FFI du Bas-Rhin. 
   En 199O, le professeur de droit René Capitant se voit honoré par une allée sur le campus de l’Esplanade. Il enseigna dans les années trente à la faculté de droit à Strasbourg et fut à l’époque un acteur local engagé dans la dénonciation du nazisme et ensuite une figure nationale de la Résistance.
   Au milieu des années 1990, soit cinquante ans après la fin de la guerre, cinq résistants en rapport avec Strasbourg sont retenus par la Commission de dénomination des rues, par ordre alphabétique : Adélaïde Hautval (médecin formée à Strasbourg, « Juste parmi les Nations », déportée à Auschwitz parce que solidaire avec les juifs), première femme résistante ayant une rue à Strasbourg (en 1993), Robert Heitz (condamné à mort en 1943 et adjoint à la culture de 1959 à 1971 à Strasbourg), Julius Leber (député de Lübeck, natif de Biesheim en Alsace, étudiant à Strasbourg, figure antinazie de la social-démocratie allemande), Raymond Lucien Klée (agrégé de philosophie, engagé dans une activité de renseignement, mort au Struthof) et Jeanine Sontag (jeune résistante lyonnaise, ancienne élève de Lucie Aubrac au Lycée des Pontonniers), elle en 1995. 
   En 2004, Alphonse Adam du Front de la Jeunesse d’Alsace trouve sa rue au Neuhof, où Ceslav Sieradski le rejoint en 2010. 
   En 2007, une partie de la rue du Ballersdorf se voit attribuer le nom de Paul Bâtiment (seul Compagnon de la libération né à Strasbourg), mais le reste de la rue disparaît peu après. De même, l’allée Reuss est prolongée, « absorbant » l’allée des Déportés qui disparaît... 
   La même année 2007, Jean-Pierre Levy, né à Strasbourg et siégeant au Conseil national de la Résistance, a enfin une allée à l’Esplanade. 
  En 2012, une allée Crabbé dans le quartier Danube au nord du Neudorf vient « compenser » la disparition de la rue éponyme au Neuhof. Et en 2014, la rue de la Résistance est renommée rue Lucie Aubrac, 3ème femme résistante ainsi honorée. 
   En 2020, trois nouvelles dénominations d’allées à la Roberstau concernent des femmes : Alice Daul-Gillig, Marguerite Fuhrmann-Plancherel, Laure Mutschler-Diebold. Enfin en 2021, une rue Lucienne Welschinger (jeune cheffe de l’équipe « Pur-sang »), voit le jour au Neuhof !
   Parmi tous ces noms liés à la Résistance, on compte donc seulement sept femmes (environ 20 %), dont quatre depuis 2014.   
   On retient que la mémoire de la Résistance dans l'espace public strasbourgeois reste fragile, d’autant qu'elle concerne souvent des allées, squares ou pont ne comprenant aucune adresse postale, faisant de fait de ces voies des « rues de résistants sans adresse » ! La seule grande artère consacrée à la Résistance est la rue de la Brigade Alsace-Lorraine. L’allée Jean-Pierre Levy est, elle aussi, bien passante, mais peu de gens connaissent son nom et ne savent pas qu’elle est située sur le tracé de l’ancien Pont Churchill !